Grèce et euro : quel avenir ?

Ouvrage sous la direction de Gérard Lafay, collection Mouvements économiques
et sociaux, 2015, L’Harmattan

La situation économique et sociale de la
Grèce, devenue de plus en plus désastreuse,
pose la question cruciale de son maintien
dans la zone euro. Tel est l’objet de cet ouvrage.
On présentera d’abord la situation
de l’euro et celle de la financiarisation de
l’économie, contexte dans lequel une journée-
conférence sur l’avenir de la Grèce fut
organisée à Th essalonique. On présentera
alors les thèses en présence, puis l’évolution
observée depuis lors, en montrant l’impasse
dans laquelle s’est engagé le gouvernement
TSIPRAS.
1. L’échec patent de l’euro
Au lieu de renforcer la nécessaire cohésion
européenne, la mise en œuvre de la monnaie
unique, l’euro, représente l’exemple le
plus typique d’une construction artificielle
rêvée par les bureaucrates européistes. On
s’imaginait qu’il suffi sait d’instituer une
seule monnaie à l’intérieur d’un groupe de
pays européens pour que l’on observe une
convergence rapide des comportements et
des structures productives. Cette perspective
idyllique devait engendrer ipso facto une
accélération de la croissance et une diminution
du chômage. En cas de difficultés,
par la persistance de déséquilibres entre
les régions riches et les régions pauvres, il
devait suffi re d’organiser une fuite en avant

vers une intégration de plus en plus poussée,
afin d’opérer soit des transferts budgétaires,
soit des transferts de population.
En fait, il n’en a rien été. Non seulement
le continent européen est devenu le maillon
faible de la croissance mondiale, montré
du doigt dans toutes les instances internationales,
mais les divergences structurelles
entre nos nations se sont largement amplifiées depuis cette date. Le taux de change
réel de l’euro, longtemps plus élevé que ceux
de la plupart de nos partenaires extra-européens, a aggravé la concurrence internationale,
créant dans la grande majorité des
pays de l’Union européenne une aggravation
des déficits budgétaires et extérieurs
ainsi qu’une montée continue du chômage,
notamment pour les jeunes [Jean-Pierre
Vesperini, 2013].
Visiblement, l’euro est un échec cuisant.
Les remèdes mis en œuvre pour lutter
contre cette situation se sont révélés
inefficaces les uns après les autres. Il s’agit
d’abord des mesures d’austérité budgétaire,
qui sont souvent nécessaires pour lutter
contre la dérive des comptes publics. Cependant, elles ne peuvent porter leurs fruits
que dans un contexte de croissance. Celle-ci
étant rendue impossible dans la plupart des
pays membres de la zone euro, en raison du
niveau trop élevé du taux de change réel,
elles ne font qu’aggraver le ralentissement

de la croissance, creusant encore davantage
le défi cit public. La Grèce est l’exemple
emblématique de cette politique erronée où,
pour revenir à un solde budgétaire moins
déficitaire en 2014, il a fallu sabrer toutes
les dépenses sociales et baisser le Produit
Intérieur de 26% depuis 2008.
Il s’agit ensuite de remplacer, dans différents
pays, la dévaluation monétaire –
rendue impossible par l’existence-même de
la monnaie unique – par une dévaluation
interne. Dans une économie ouverte à la
concurrence, il est naturellement nécessaire
de donner la priorité à la compétitivité. Mais
cette exigence sert de prétexte pour imposer
une baisse drastique des salaires et prestations
sociales. La correction visée est de 20
à 25%, une orientation profondément réactionnaire,
jamais connue depuis les années
trente. Cette méthode a déjà été appliquée
sur une grande échelle en Grèce. Les résultats
sont clairs : le seul aspect apparemment
positif en est le redressement du commerce
extérieur à partir de 2013, mais au prix d’un
appauvrissement dramatique de la population,
d’un effondrement de la production
et d’une envolée du chômage qui dépasse
maintenant 27%.
2. La financiarisation de l’économie
Au lieu d’être au service de l’économie réelle,
en permettant de financer les investissements
productifs, la finance internationale
s’est lancée dans une course à de prétendues
innovations en imaginant une multitude de
produits financiers et de dérivés plus complexes
les uns que les autres. Leur but n’est
pas d’améliorer le fonctionnement de l’économie
réelle, mais de trouver les moyens les
plus astucieux de pratiquer la spéculation.
On a remplacé ainsi les vrais entrepreneurs,
créateurs de richesses réelles
découlant de l’activité productive, par des

aventuriers des marchés financiers, créateurs
de richesses virtuelles, jonglant sur les
marchés avec les taux de change, les taux
d’intérêt, les actions, les obligations, les
matières premières et toutes sortes d’actifs
financiers. Toutefois, cette perversion du
régime capitaliste ne peut pas durer éternellement.
Comme en 1929, comme en 2007,
tous les éléments d’une nouvelle crise systémique
sont aujourd’hui réunis : les liquidités
monétaires sont surabondantes, la dette
publique et privée est à un niveau historique,
la régulation de la finance a pris un retard
considérable (Jean-Michel Naulot, 2013).
La dette publique a fait un bond spectaculaire
dans la plupart des pays du monde,
principalement en raison de la crise financière
de 2008. Mais la dette privée, celle des
ménages et des entreprises, est également à
un niveau record dans de nombreux pays,
souvent dans ceux qui sont réputés vertueux
pour la gestion de leur dette publique. En
1929 comme en 2007, la dette privée seule
était à l’origine de la crise. Aujourd’hui, la
situation globale d’endettement, publique
et privée, est inédite.
Enfin, comme en 1929 et en 2007, la
finance internationale est très peu régulée.
Le G20 de Londres, les 1er et 2 avril 2009,
avait courageusement lancé un programme
de réformes pour réduire l’hypertrophie de
la finance. Au fi l des années, l’effort de régulation
s’est amoindri, tant aux États-Unis
qu’en Europe. Des compromis ont été signés
mais ils reflètent davantage l’influence des
lobbies que le désir d’éviter à tout prix une
nouvelle crise. La finance de l’ombre, c’est-à-
dire pas ou peu régulée, se développe au
lieu de se réduire. Les fonds spéculatifs et les
marchés de dérivés ont des encours supérieurs
à ceux qui existaient avant la crise.
Les banques elles-mêmes ont toujours le
droit de spéculer. L’innovation financière
est plus active que jamais, par exemple avec
le trading à haute fréquence, quasi inexistant

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