Résilience de la concurrence industrielle

Une crainte tenace, un recul
nécessaire, un diagnostic plutôt
rassurant
La monopolisation est un danger toujours
récurrent et toute crise de quelque ampleur
en augmente le risque, lié non seulement
aux pratiques des affaires et aux changements
dans les structures industrielles, mais
aussi aux hésitations possibles des autorités
antitrust craignant d’accabler les entreprises
déjà mises à mal par les chocs auxquels elles
sont soumises. L’aphorisme marxien selon
lequel, de crise en crise, la concurrence tue
le concurrence, et le souvenir de la baisse
de rigueur de la politique antitrust aux EU
dans les années de la grande crise, approuvée
par Schumpeter, inspirent sans doute
bien des craintes inexprimées. Sur ce fond
d’inquiétudes plus ou moins explicites, des
observations sur la concentration bancaire
depuis 2008 ont amené J. Stiglitz à sonner
l’alarme contre une nouvelle vigueur des
monopoles, alors que, du point de vue de
la réglementation financière, la crise n’est
toujours pas dépassée.
Mais la concentration bancaire ne ruine
pas toute la concurrence, même dans le secteur
financier, ne serait-ce qu’en raison du
financement des entreprises par les marchés.
A plus forte raison ne doit-on pas préjuger
sans examen de l’évolution de la concurrence
dans l’industrie. Pour la période présente,
une analyse attentive conduit même à
relativiser, sinon à inverser, la vieille crainte

marxienne. Certes, on peut effectivement
vérifier que des facteurs d’affaiblissement
de la concurrence sont à l’œuvre dans l’industrie
mondiale. Mais l’observation des
grands mouvements stratégiques qui affectent
cette dernière, et des paramètres qui
conditionnent son activité, révèlent que la
résilience l’emporte, notamment dans trois
secteurs où la concurrence est soumise à de
fortes tensions de nature différente. Dans la
chimie-pharmacie comme dans les NTIC, ce
sont des contraintes traditionnelles et qui ne
faiblissent pas, liées au coût et au caractère
disruptif de l’innovation et à la complexité
de sa protection par la propriété intellectuelle.
Dans l’énergie, les tensions auxquelles
est actuellement soumise la concurrence
sont provoquées par la brutale inversion
des paramètres qui s’imposent aux acteurs
et à leur modèle économique.
Ces contraintes sont différentes mais
elles ont en commun leur force, sinon leur
brutalité. Aussi la résilience, relative mais
indubitable, de la concurrence dans les secteurs
intéressés constitue-t-elle un motif
d’optimisme sur le système industriel. Cette
appréciation s’appuie sur deux ensembles
d’observations. En premier lieu, on peut
noter la solidité du cadre normatif de la
concurrence dans les grandes économies du
monde. En deuxième lieu, on peut observer
la vigueur de la concurrence positive dans
laquelle les entreprises sont entraînées et
que leurs stratégies contribuent à soutenir
et à intensifier.

1. Solidité du cadre normatif de la
concurrence
1.1. Des affrontements et des
transgressions certes récurrents
1.1.1. Des transgressions qui se renouvellent
Les abus de position dominante reprochés
à Google se présentent quelque peu différemment
de ceux qui le furent par exemple
à Microsoft : les transactions liées, favorisant
telle ou telle off re de services greffés sur le
moteur de recherche, ne sont pas brutales,
mais anormalement avantageuses pour l’utilisateur
du moteur de recherche. Un autre
abus innove davantage car il mêle en une
configuration particulière des éléments de
transaction liée et de parasitisme commercial
: Google est en effet accusé de favoriser
des services qu’il off re et qui sont associés
à une application de géo-localisation, en
réservant à son off re le format le plus commode
de cartes dont il n’est pas l’auteur.
Une autre pratique regrettable et nouvelle
est celle qui a donné lieu à la condamnation
d’Altice. A la suite de l’absorption de SFR,
contrainte par l’Autorité de la concurrence à
céder des activités pour ne pas se trouver en
position dominante sur des marchés locaux
de taille restreinte, outre-mer, la firme a vidé
cette cession de son contenu en augmentant
fortement le prix de ses abonnements, ce
qui a évidemment fait fuir les clients. Ce
sont des exemples, qui illustrent que les
entraves privées à la concurrence sont loin
d’être éradiquées.
1.1.2. Des affrontements internationaux sur
la concurrence
D’autres entraves sont d’origine publique.
Le Droit de la concurrence est formellement
assez proche d’un pays à l’autre mais
son application diffère et il est même utilisé
comme une arme de guerre économique,
ce qui est l’exact inverse de sa raison d’être.
Le plus souvent, l’indétermination domine.

La volonté politique de l’harmonie internationale
dans l’antitrust est réelle mais toutes
sortes de pouvoirs locaux et de lobbies industriels
agissent pour infléchir la mise en
oeuvre des règles de la concurrence. Ainsi
la défense de la propriété industrielle d’origine
étrangère en Chine semble faire l’objet
d’une adhésion sincère des autorités, mais
des conflits surgissent régulièrement. Dans
des affaires récentes, des retournements
jurisprudentiels défavorables à Apple sont
même considérés comme des moyens de
pression, d’ailleurs quelque peu symboliques
(l’utilisation du sigle iPhone par un fabricant
de sacs de voyage) délibérément appliqués
sur la firme. L’affaire demeure cependant
incertaine.
Encore ne s’agit-il que d’affrontements
industriels. La querelle entre la Commission
européenne et Gazprom touche à des
questions de politique étrangère, la position
dominante de Gazprom ayant été mobilisée
dans un climat conflictuel large. Mais
le marché du gaz est touché par le retournement
énergétique, et les abus de position
dominante des grands producteurs sont actuellement
impossibles. En somme le risque
de détournement de la concurrence est réel
mais variable, voire aléatoire.
1.2. L’affirmation de la norme
concurrentielle
1.2.1. L’affirmation frontale : pratiques réprimées
et fusions interdites
Cependant les pratiques traditionnellement
interdites sont effectivement réprimées
sur les deux rives de l’Atlantique. Dans les
NTIC, où, depuis six décennies, le même
défi à la concurrence se reproduit d’une
rupture à l’autre, par la supériorité irrésistible
dont jouit la firme ayant réalisé la
percée qui a ouvert un modèle nouveau, les
autorités restent en alerte, comme dans les
affaires évoquées ci-dessus : contre Google,

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