Éléments d’histoire sur les débuts des congrès des économistes de langue française : les premiers pas de L’AIELF

Francis Clave
Université de Paris II
clave_f[AT]yahoo.fr

L’idée de réunir un congrès des économistes de langue française vient de Madame Pirou.  (Travaux  1961,  p.135).  L’intensité  des  discussions  économiques  entre  son mari, alors professeur à l’université de Bordeaux et Maurice Ansiaux, un professeur de l’université de Bruxelles venu faire au milieu des années vingt  des conférences à  l’université  de  Bordeaux,    l’a  poussé  à  leur  suggérer  d’organiser  un  congrès annuel où les économistes de langue française pourraient débattre entre eux des problèmes économiques A cette époque, les professeurs et enseignants universitaires d’économie étaient peu nombreux car outre le faible nombre d’étudiants du supérieur, l’enseignement de l’économie en était à ses débuts. C’est en effet durant l’entre-deux- guerres que les études économiques vont commencer à gagner en importance sur le continent et que les premiers centres de recherche économique sont créés. Aussi, comme Gaetan Pirou, à Bordeaux, pouvaient-ils alors ressentir une certaine solitude intellectuelle. Une fois l’idée d’un congrès lancée, la mise en œuvre est rapide et à partir de 1926, les économistes de langue française ou du moins certains d’entre eux, prennent l’habitude de tenir  « chaque année,… un Congrès, où ils s’entretiennent des problèmes scientifiques plus particulièrement préoccupants : stabilisations des monnaies et redressements des bilans après stabilisation ..(Travaux 1933 ; p. 2) ». Ces réunions qui s’organisent autour de deux thèmes présentés par des rapporteurs, font la part belle aux discussions et aux échanges. Les discussions sont usuellement policées même si le premier congrès, si l’on en croit Ansiaux (1935) fut un peu agité (voir en annexe, la liste des premiers congrès).

 

En 1933, il est décidé  de mettre fin à ce que Lescure appelle  un « silence voulu » maintenu depuis 1926 et de publier chaque année un compte rendu des travaux. Cette tradition se maintiendra 1966 et sera abandonnée en 1967. Nous ignorons la raison de cet abandon. Tout ce que nous savons c’est que durant les années soixante, le congrès qui cherche à s’adapter aux transformations du monde universitaire  et  de  la  recherche,  procède  à  un  certain  nombre  de  mutations.  Si l’on s’interroge sur les raisons qui ont poussé à partir de 1933 le congrès à publier ses travaux  1933,  trois explications semblent s’imposer. Tout d’abord, on peut constater que suite à la crise de 1929 est né en 1931 le groupe X-crise qui devient en 1933 le Centre polytechnicien d’étude économique. La publication des travaux traduit certainement une volonté des professeurs d’université à ne pas laisser aux polytechniciens le monopole de participation aux débats publics et d’affirmer leur présence et leur expertise en ce domaine. En appui de cette thèse il est loisible d’avancer les propos tenus par François Simiand (1873-1935) en 1935 (Travaux, 1935 p.229) : «  ce matin même encore, j’ouvrais un bulletin d’un centre de discussion qui fait peut-être quelque fois un peu concurrence au nôtre : le Centre polytechnicien des économistes ». Simiand a surement raison d’être prudent car les membres les plus libéraux du Centre polytechnicien (Armatte 1994, p.391), Clément Colson (1853-1964), Divisia (1889-1964) et Rueff (1886-1978), participent également aux travaux du Congrès des économistes de langue française. Malgré tout et même si le bulletin des polytechniciens est mensuel (Armatte 1994, p.391) alors que les travaux ne paraissent qu’une fois l’an, néanmoins l’idée d’une certaine concurrence nous semble présente.

Une autre preuve du désir des économistes universitaires de langue française de s’imposer par le biais de la publication de leurs travaux sur la place publique et auprès des politiques, réside, selon nous, dans l’insistance mise par Jean Lescure le co-président, avec Maurice Ansiaux du Congrès pendant l’entre-deux- guerres, à affirmer des positions communes partagées par tous les économistes de langue française. Dans la préface des travaux du congrès de 1933 qui a porté sur économie libérale et économie dirigée ainsi que sur l’étalon-or, Lescure écrit : « en ce qui concerne l’étalon-or, les nuances de pensée qui se sont manifestées, au sujet de l’Économie dirigée, ont presque complètement disparu…les Économistes de langue française ont été unanimes à affirmer la supériorité de l’étalon or et à souhaiter sa restauration aussi prochaine que possible dans tous les pays du monde ». Cette affirmation, peut-être trop péremptoire1, semble traduire une volonté de participer au débat sur l’étalon monétaire de la part des économistes de trois pays du bloc de l’or présents au congrès : les français, les belges et les suisses. De même Lescure écrit-il en 1934 : « le Congrès, abordant le problème de la liberté de grève (le Congrès délibérait un jour de grève générale singulièrement gênante pour ses participants) a-t-il refusé d‘en délimiter les frontières. Mais il a été unanime à proclamer la prééminence de l’intérêt public sur l’intérêt professionnel » (Travaux 1934, p. 9). Ailleurs, Lescure insiste sur l’influence qu’il suppose être celle du congrès. En 1938, il écrit « encore une fois notre Congrès paraît avoir intéressé les gouvernements. Nous noterons en tout cas en terminant une coïncidence : plusieurs décrets récents (qualifiés de décrets lois) ont organisé en France une caisse des marchés et l’escompte ou la mobilisation des créances… » (Travaux 1938, p.13).

Un autre élément plaide en faveur de la thèse voulant que la publication des travaux des Congrès ait été mise en place pour constituer pour les professeurs d’économie un moyen d’influence sur la vie publique, c’est le nombre important de  participants  exerçant  un  mandat  politique  ou  ayant  été  impliqués  à  titre d’experts dans le processus de prise de décision d’importantes mesures de politique économique. Dans ces circonstances, on peut comprendre qu’ils n’aient pas voulu laisser entièrement le champ libre à de jeunes polytechniciens qui n’avaient, de plus, pas forcément la même approche des problèmes économiques.